Croire que l’offensive de l’électrification des voitures va provoquer une demande croissante n’est qu’une illusion. Le marché, en Europe, est très compétitif, les dernières nouvelles le montrent. En Suisse, c’est un peu le billard…

Par Gil Egger

Une masse de boules, quand vous en rajoutez une, toutes les autres bougent. Le marché automobile suisse est relativement stable. Il est aussi très disputé. Les changements structurels sont loin d’être finis. Et l’électrification bouscule la donne. De nouveaux venus vont, forcément, prendre des parts à des acteurs bien implantés.

Nouveaux arrivants

Après quatre ans d’absence, le Salon de l’auto, baptisé GIMS (Geneva International Motor Show), a enfin eu lieu à fin février 2024 et l’une des surprises a été la venue de nouveaux intervenants. L’un d’eux a suscité beaucoup de curiosité, l’américain Lucid (image de Une). Ses berlines sont grandes, très luxueuses, et leur technologie très en avance, même sur celles des «premium» habituelles que sont Mercedes et BMW. Deux points de vente en Suisse, ce n’est pas encore la révolution dans le créneau du luxe, c’est une affaire à suivre. Quelques mauvaises langues se sont empressées de dire que Lucid perd de l’argent, qu’elle vise le haut de gamme avec très peu de modèles et autres affirmations pessimistes. Or, le capital de Lucid est très solide, ce genre d’arguments a été servi exactement de la même façon pour Tesla, dont la capitalisation boursière impressionne à 500 milliards de dollars (elle avait touché les mille milliards).

MG sans complexe

La marque MG rappelle de bons vieux souvenirs. Ah! les Midget, jolis roadsters et par ailleurs bêtes à chagrin anglaises. Après bien des péripéties, la voici en mains chinoises, ce qui n’est pas une surprise, ce sont eux les conquérants à notre époque. Le groupe SAIC (Shanghai Automotive Industry Corporation) a vendu 5,3 millions de voitures en 2022, dont plus d’un million à l’étranger. Il possède des entreprises communes avec Volkswagen et General Motors en Chine.

Les MG qui débarquent en Suisse n’ont rien d’exotique. Proches des Japonaises ou des coréennes, elles affichent un équipement complet, un design soigné et des tarifs canon! En Suisse, la marque est commercialisée par Astara, le groupe espagnol déjà bien implanté. Nous sommes allés voir les modèles qui arrivent dans notre pays cette année, et c’est franchement surprenant. Amateurs de puissance, accrochez-vous bien! Nous avons pris le volant de la MG4-X-Power, aux étriers de freins orange bien évidents. C’est une électrique, traction intégrale, de 435 ch Pourquoi en parler en premier? Parce qu’en Suisse, les chevaux, on aime. Bien des jeunes cassent leur tirelire, ou incluent un leasing dans leur budget, pour rouler avec quelque chose sous le pied. Cette MG en a. Comme toujours, du punch des réactions vives et spontanées, grâce aux moteurs électriques. Le châssis a une tenue simple à gérer, malgré le poids, comme sur toutes les autos ayant un soubassement fait de batteries.

MG, c’est aussi une palette avec des moteurs traditionnels, des hybrides et des rechargeables. Son SUV compact ZS EV, donc électrique, arrive au prix de 28’990 fr. Il n’y en a pas beaucoup sur le marché. Plus fort, en entrée de gamme avec un moteur purement thermique, il s’affiche à 17’990 fr., la version très équipée à l’intérieur soigné est à 22’900 fr., soit 2’000 fr. de moins qu’un Dacia Duster. Astara n’a pas trop de souci à se faire pour trouver des distributeurs, d’autant que sa politique est celle des prix nets. Ils devraient être 25 en Suisse en 2025.

Marque bon marché? Attendez, ce n’est pas fini! À l’automne 2024, un roadster racé, assez imposant, tout électrique, vient poser une image sportive et très lifestyle sur MG. Il s’appelle Cyberster et ses portes en élytre en font un véhicule à part, le premier du genre dans cette catégorie. Il devrait dépasser 500 ch.

Résurrection et compétition

Passons du côté de la Corée. Les voitures Ssangyong ont toujours eu une allure un peu massive, ou disons qu’elles exprimaient à la fois la robustesse et une vocation utilitaire. On en voyait peu en Suisse. La marque a connu bien des péripéties et a été achetée par KGM, la division moteur du grand groupe KG, un géant de l’acier, de la chimie, des services et des médias. Nous sommes allés à Istanbul pour prendre contact avec le Torres EVX, un SUV électrique de 207 ch. Il n’existe qu’en traction, mais en observant la gamme actuelle, héritée de Ssangyong, et qui sera renouvelée, on peut penser que les moteurs thermiques auront encore leur rôle à jouer longtemps. Et un Torres 4×4 aura sa place au catalogue. Le Torres EVX accélère bien, il est donné à 8,1 secondes pour le 0 à 100 km/h. Son couple de 339 Nm provoque quelques incertitudes dans la direction quand on appuie fort sur la pédale des gaz. Le silence de l’habitacle est un peu perturbé par quelques bruits d’air.

La ligne est assez élégante. Quelques particularités suscitent l’étonnement, comme une bulle sur le hayon ou des sortes de poignées sur les ailes avant. Avec une autonomie donnée à 462 km, il répond à la plupart des besoins. La recharge rapide à 300 kW prend 37 minutes (10 à 80%). On retrouve Astara comme importateur en Suisse et nul doute que KGM apportera une diversification bienvenue à certains de ses distributeurs, voire en convaincra de nouveaux.

L’autre chinois

Le groupe Emil Frey a annoncé au Salon de Genève qu’il était le distributeur des voitures BYD (Build Your Dream). Le groupe chinois BYD a commencé par fabriquer des batteries avant de devenir constructeur. Son arrivée en Suisse va bousculer le marché, car il est peu probable que les ventes augmentent de manière générale. Il est logique qu’un groupe comme Emil Frey prenne BYD, les enseignes qu’il représente pourraient en effet souffrir un peu (Alfa Romeo, Ford, Subaru, Mazda, Suzuki, Toyota, Mitsubishi, Kia, Ford, en exclusivité ou en partie pour certaines). Tant qu’à affronter une concurrence, autant qu’elle soit dans la même maison.

D’autres acteurs vont venir, c’est inévitable. Comme MG, connu en France depuis plusieurs années, certaines marques pourraient trouver intéressante une Suisse friande de nouveautés, sensible aux équipements pléthoriques et aux voitures généreuses en puissance. La liste des ventes des 367 modèles que publie autosuisse (www.auto-suisse.ch) va certainement augmenter, sans que les totaux ne changent beaucoup.